Au cours d’un premier article, nous vous avons présenté le programme Biodiversité Administrative et détaillé ses contours. Ce deuxième chapitre a pour objet de présenter les premiers enseignements d’une série d’entretiens avec certains acteurs de cette biodiversité administrative. Sans viser l’exhaustivité, ces entretiens menés avec des acteurs des agences régionales de la biodiversité (ARB), de l’office français de la biodiversité (OFB), de la fédération de la recherche pour la biodiversité (FRB), de la CDC biodiversité et du Cerema mettent en lumière trois enjeux importants.
En bons naturalistes de la biodiversité administrative, nous partageons notre carnet de questionnements et d’observations. Première partie de ce carnet, l’épineux problème de la transversalité de l’action publique en matière de biodiversité.
L’adoption le 08 août 2016 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages installe durablement la biodiversité comme “un enjeu transversal des politiques publiques de protection des espaces naturels, de la qualité des eaux, des aménagements urbains, industriels, et de transport, d’une agriculture durable, entre autres …” À l’échelle internationale, l’action conjuguée de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) et du Congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) actent également l’institutionnalisation de la biodiversité comme un objet politique global.
Cette construction de la biodiversité comme objet politique s’est réalisée progressivement, non sans flottement ou frottement, et témoigne d’une prise en compte croissante de la crise que subit le monde vivant. D’une position marginale, le concept biodiversité s’est donc constitué en un objet d’attention, d’intentions et d’actions des politiques publiques. Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment les différentes organisations publiques se (re)structurent autour de cet impératif de transversalité ? Comment cet impératif se traduit à l’échelle des territoires ? Pour prolonger ces questionnements, attardons-nous sur un objet de l’action publique en matière de biodiversité : le programme Territoires Engagés pour la Nature (TEN).
TEN, en compagnie des Atlas de la Biodiversité constitue l’un des principaux dispositifs de biodiversité administrative qui fait le lien avec les territoires en France. Il s’agit même selon Mathilde Maisano, chargée de mission « Territoires Engagés pour la Nature » au sein de l’OFB, de “l’unique programme qui se concentre uniquement sur la biodiversité. Il n’y en avait pas avant. Il existe des contrats régionaux de transition écologique qui pour l’heure se révèlent être davantage des contrats régionaux de transition énergétique, n’intégrant pas ou peu les enjeux de biodiversité. Notre but est de faire de la biodiversité un sujet transversal. Si on y arrive pas, on sera passé à côté de quelque chose.”
La transversalité devient ainsi un pré-requis du succès du dispositif, et cette transversalité ne doit pas seulement s’appliquer aux politiques environnementales, mais aussi aux politiques de santé publique, d’éducation, d’achat public, etc. Ce constat est formulé par d’autres acteurs rencontrés comme le soulignent Samuel Durante, chef de groupe de la transition environnementale au Cerema, et Sophie Ménard responsable de la mission économie de la biodiversité à la CDC Biodiversité.
“Il y a un sujet sur lequel on doit s’améliorer, c’est la transversalité. On a beaucoup d’experts très différents sur des sujets pointus. Les collectivités viennent nous chercher, et l’Etat aussi, en raison des compétences très variées. Cette transversalité mérite d’être cultivée, pour profiter à l’ensemble des acteurs, en intégrant les questions de biodiversité avec les autres thématiques.”
Samuel DURANTE, Cerema
“Je constate un manque de croisements entre la caisse et ses filiales. Un manque de concertation et un manque de communication. On essaie de monter une offre groupe sur différentes de biodiversités mais il est important d’identifier les compétences, les contacts mobilisés sur ce programme.”
Sophie Ménard, CDC Biodiversité
L’objet biodiversité s’immisce donc dans des champs de l’action publique qui, jusqu’à présent, n’étaient pas considérés comme pertinents.
Dès lors, comment se traduit cet impératif de transversalité sur les territoires ? À ce stade, deux stratégies semblent prédominer : celle de l’acculturation et celle de l’articulation.
La première vise à former, sensibiliser, informer l’ensemble des acteurs publics sur les enjeux de biodiversité en apportant une ingénierie spécifique sur le territoire. Le rôle des animateurs régionaux est prépondérant. “La plus value de TEN, c’est d’avoir un animateur par région qui connaît bien la biodiversité, qui connaît bien le territoire. (M. Maisano)”. Ces animateurs sont des relais, des rouages essentiels de cette transversalité. Ils permettent sa traduction territoriale en prenant en considération les spécificités et les contraintes locales.
La stratégie de l’articulation (ou du couplage) concerne davantage les dispositifs de l’action publique : “Nous devons être à l’interface d’autres outils ou dispositifs. Pour le moment, il y a un manque de lien avec des dispositifs comme Petites villes de demain, les CRTE, Action cœur de ville etc. Il y a urgence à coupler les dispositifs existants avec TEN car si on ne pense pas la biodiversité en amont, ça devient source de contraintes et de dépenses. (M. Maisano)” Cette stratégie s’opère donc en amont, dans la conception même des dispositifs d’accompagnement ou de soutien à l’action locale en matière de biodiversité. L’articulation – récemment instituée – entre le programme TEN et l’Atlas de la biodiversité ainsi que le concours Capitale Française pour la biodiversité préfigure cette stratégie. Pour être candidate à ces deux dispositifs, les communes doivent être engagées dans TEN, ou au moins, y avoir manifesté un intérêt.
La construction de la biodiversité comme objet transversal de politique publique est donc un processus émergent, qui nécessite un travail de co-conception en amont, des relais aux échelles locales et une œuvre d’acculturation.
Signe ou symptôme de cette transversalité émergente, les Agences Régionales de Biodiversité (ARB) – qui animent à l’échelle régionale le programme TEN – sont en cours de structuration sur le territoire. L’état disparate de cette structuration selon les régions témoigne d’une politique publique territoriale en matière de biodiversité à plusieurs vitesses, dépendantes des contextes territoriaux, des volontés politiques et des ingénieries disponibles en local.
Ce constat ouvre plusieurs questionnements pour le programme biodiversité administrative :
- Comment outiller le travail des animateurs locaux pour renforcer leur action ?
- Quels dispositifs de l’action publique doivent être couplés pour structurer la biodiversité comme objet politique transversal ?
- Quels sont les espaces et les temps communs de l’action publique pour concevoir ces articulations ?
- Comment doivent se structurer les relais politiques et institutionnels sur le territoire pour mener à bien cette démarche ?
- Quelles réorganisations implique l’impératif de transversalité ?
- Quelles compétences et connaissances nouvelles suggère cet impératif de transversalité pour les acteurs de l’action publique ?