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Capter et mesurer la biodiversité : les indicateurs au cœur de l’action publique ?

À l’occasion de cette première série d’articles du carnet d’observation de la Biodiversité Administrative, après la question de la transversalité de l’action publique et celle des appels à projet, abordons un dernier sujet qui nous semble important : les données et indicateurs de biodiversité. 

De nombreux dispositifs de captation, traitement et diffusion de données en matière de biodiversité sont mis en place à différents échelons territoriaux et constituent des outils clés de l’action publique. Un indicateur de l’Observatoire national de la biodiversité fait état d’une augmentation conséquente du volume de ces données de biodiversité disponibles (+25% entre janvier 2020 et janvier 2021). 

Traduisant l’effort de partage et de diffusion publique des données de nature au niveau national, cette augmentation témoigne d’un double mouvement qu’il s’agit de questionner. 

Tout d’abord, la construction de la biodiversité comme un objet de gouvernance territoriale. Pendant très longtemps, la production de données sur la biodiversité était le fait d’associations locales de protection de la nature, mobilisant un large réseau de bénévoles naturalistes, avertis ou novices. Ces associations s’appuyaient ainsi sur l’observation du vivant in situ pour collecter des données qui ont servi à la mise en place de programmes de protection de la nature. La définition des Zones naturelles d’intérêt écologiques faunistiques et floristiques (ZNIEFF) effectuée dans les années 1980 sous le patronage du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) témoigne de l’importance de ces réseaux associatifs.

L’apparition à la fin des années 2000 du Système d’Information de l’Inventaire du Patrimoine Naturel (SINP), une infrastructure de la connaissance destinée à mesurer l’évolution de la biodiversité, marque un tournant dans la stratégie des données de nature. Cette infrastructure favorise la constitution d’un savoir global sur la biodiversité en intégrant des données produites au niveau local pour les rendre utilisables et opérables à un échelon global. Ce mouvement passe par des processus de quantification, de standardisation, d’extrapolation ou d’abstraction des données qui peuvent se retrouver de plus en plus détachées ou désencastrées du contexte local. 

Envisagées dans les décennies 1970-1980 comme un outil au service de la protection locale de la nature, “la collecte et la gestion des données acquièrent une importance cruciale dans le nouveau contexte de gouvernance globale de la biodiversité, au point d’apparaître désormais comme une fin en soi, détachée des projets locaux” (Fortier et Alphandéry, 2017 – article).

Aujourd’hui, les acteurs s’attachent à produire les conditions pour favoriser des articulations efficientes et pertinentes entre toutes les échelles. Dans cette perspective, la traduction d’indicateurs existants à des échelles globales est un enjeu de plusieurs acteurs tels que la CDC Biodiversité et l’Observatoire National de la Biodiversité. La CDC Biodiversité expérimente la métrique GBS (Global Biodiversity Score) à destination des collectivités territoriales. De son côté, l’OFB pense à adapter au niveau régional et départemental des indicateurs élaborés à l’échelle national.

Dès lors, la stratégie de mise en données illustre la nécessité de mettre en place un ensemble de dispositifs et de services de l’action publique qui permettent des articulations bénéfiques entre l’ensemble des échelons territoriaux.

D’autre part, cette augmentation de données sur la biodiversité traduit un renforcement de la place des données dans les projets multi-partenariaux des acteurs de la biodiversité. Entre spécificités territoriales et nécessité d’harmonisation (ou standardisation), les données de biodiversité s’envisagent comme un commun de l’action publique.

Les politiques publiques contemporaines sont traversées par l’impératif de transparence, de responsabilité et d’efficacité. Dans cette perspective, l’ouverture et le partage des données apparaissent comme une condition essentielle. Le cadre réglementaire sur le dépôt légal des données brutes de biodiversité (DEPOBIO), le schéma national sur les données sur la biodiversité ainsi que l’avis rendu en 2020 par le Conseil national du numérique pour faire des données environnementales (dont les données de biodiversité) des données d’intérêt général renforcent une telle logique et tracent un sillon clair pour les acteurs de la biodiversité : la mise en commun des données de biodiversité. 

Cette mise en commun implique une stratégie d’interopérabilité des données. Rythmé par le SIB (Système d’information sur la biodiversité), les différents acteurs tels que les établissements publics (OFB, l’IGN, l’IFREMER, l’ONF, le MNHN ou les parcs nationaux), les différents réseaux (Conservatoires Botaniques Nationaux, les Conservatoires d’Espaces Naturels, le Conservatoire du Littoral et les Réserves Naturelles de France), les associations et bureaux d’étude, et les plateformes régionales du SINP (Systèmes d’information de l’inventaire du patrimoine naturel) renforcent les partenariats pour mener cette stratégie notamment pour constituer des bases et des formats de données en commun.

Cette mise en données exige de disposer de longues plages temporelles de données et une méthodologie stable. 

Un autre aspect de cette stratégie concerne les indicateurs. C’est le travail mené dans le cadre du réseau national des observatoires régionaux et territoriaux de la biodiversité.  L’Observatoire national de la biodiversité, avec l’appui du CEREMA, travaille à la mise en réseau des différents observatoires régionaux ou locaux, qui restent indépendants avec des bases de données et des thématiques très différentes avec des niveaux de précision spécifiques. L’enjeu consiste davantage à standardiser une démarche d’indicateurs, de construire un cadre conceptuel commun en l’occurrence le DPSIR. Ce cadre commun est clé dans la mesure où le périmètre des données de biodiversité dépasse le seul enjeu de l’abondance, la répartition et la qualité des espèces ou des écosystèmes. Ce cadre intègre les forces motrices et de pression sur la biodiversité (il existe cinq grands types de pression selon l’IPBES), l’impact de ces pressions sur les écosystèmes, l’état des écosystèmes, et enfin les réponses apportées par la société pour réduire ces pressions et ces impacts. 

La dimension multi-factorielle de ces indicateurs nécessite un élargissement de la stratégie de mise en données notamment pour combler les manquements d’indicateurs de pression. Si un certain nombre d’indicateurs d’états manque (notamment sur les groupes taxinomiques), cette catégorie est toutefois mieux dotée que les indicateurs de pression.

Points de repère

L’Observatoire national de biodiversité (ONB) utilise soit des données directement récoltées à l’échelle nationale, soit des données locales ensuite agrégées. Les réseaux locaux de récolte et traitement de données sont structurés de longue date et constituent ainsi des acteurs clés dans l’outillage des politiques publiques territoriales en matière de biodiversité.

Les Système d’Information de l’Inventaire du Patrimoine Naturel (SINP) régionaux abondent régulièrement le SINP national. Les stratégies de données sont ainsi dépendantes de ces données locales

Au regard du potentiel des données de biodiversité, cette harmonisation et cette consolidation vont encore largement progresser dans les prochaines années en intégrant des territoires et des thématiques encore sous-représentés. De fait, ce double mouvement de stratégie de données de biodiversité ouvre un certain nombre de questionnements pour l’action publique. En naturalistes prudents de la Biodiversité Administrative, nous tentons de les exposer ici.

Comment combler les lacunes des données de biodiversité ? Quelles stratégies de récolte et de mise en commun des données ?

“Il n’est pas toujours nécessaire d’aller sur le terrain pour avoir des données.” selon Amélie Le Mieux, cheffe de projet de l’ONB. Afin de produire des indicateurs d’état, de pressions et de réponse, l’ONB mobilise de nombreuses données existantes (données naturalistes – en particulier celles de l’INPN – , issues d’images satellites, du budget de l’Etat, de l’INSEE, de MétéoFrance, etc… ). Pour chaque thématique, il s’agit de dresser des états des lieux des données disponibles, afin de produire ou reprendre des indicateurs. Lorsqu’une thématique n’est pas couverte par des données disponibles, il arrive que l’ONB lance des travaux de collecte, afin d’aboutir à la création d’indicateurs spécifiques.

Au niveau national, la mise en place du SIB et la définition en cours d’un schéma directeur de la surveillance de la biodiversité terrestre ont pour objectif de permettre la mise en commun des données, d’identifier des protocoles d’inventaires à mener au niveau national, de combler des lacunes de données.

Ces lacunes sont également identifiées par Sophie Ménard, responsable de la mission économie de la biodiversité à la CDC Biodiversité. Elle signale qu’il manque encore des dispositifs et des moyens entre des  : entre des inventaires et évaluations aux échelles hyper locales en développant une méthodologie de gains nets de biodiversité avec les entreprises et les collectivités, et une approche bien plus macroscopique en proposant une métrique unique globale produite par le Global Biodiversity Score (GBS).

Comment construire des indicateurs qualitatifs sur les réponses sociales ?

Les indicateurs actuels sur les réponses sociales sont principalement quantitatifs : le nombre de participants à des programmes de sciences participatives (multiplication par 6 en 10 ans ; près de 140 000 participants), un indicateur sur la prise en compte de la biodiversité par les entreprises, un indicateur sur l’effort national financier pour la biodiversité, un indicateur sur le nombre d’étudiants en lien avec la biodiversité, un indicateur sur le nombre d’espaces protégés, etc. Selon l’ONB, ces indicateurs doivent être complétés par des indicateurs qualitatifs qui nécessitent une enquête sociologique et des questionnements stables sur le long terme.

Comment les décideurs publics s’approprient les enjeux de biodiversité grâce aux données et aux indicateurs produits aux échelles nationale et locales ?

Les stratégies et les dispositifs de mise en données de la biodiversité se jouent à différentes échelles territoriales. Le cas des observatoires de biodiversité est à ce titre significatif. L’Office National de la Biodiversité mobilise soit des données directement récoltées à l’échelle nationale soit des données locales qui sont ensuite agrégées pour produire des indicateurs nationaux. Quant aux Observatoires Régionaux de Biodiversité, ils s’appuient sur des réseaux locaux très structurés pour récolter des données locales et construire des indicateurs locaux. C’est dans cet allez-retour permanent entre différents échelons que se fabriquent ces indicateurs d’état, de pression ou de réponses sociales. 

L’enjeu réside alors dans l’appropriation de ces indicateurs par les décideurs de l’action publique. Chaque année, l’ONB publie un bilan pour rendre plus accessibles ces indicateurs et offrir une vision de la dynamique globale de l’état de la biodiversité et des pressions qui s’exercent sur les milieux. Ce travail de traduction complète l’action des acteurs territoriaux (Observatoires régionaux de biodiversité, SINP régionaux, associations, etc.) qui fournissent des données utiles à la prise de décision. 

Néanmoins, la profusion et la technicité de ces outils (le portail nature France recense les 31 systèmes d’information compilés au sein du système d’information sur la biodiversité, et publie l’ensemble des indicateurs produits par l’ONB) peuvent constituer des freins à l’appropriation des données par les décideurs – mais aussi par les acteurs de la société civile dans une perspective de sensibilisation. Dès lors, quelles sont les compétences à développer pour mobiliser ces données dans les prises de décision ? Quels espaces de dialogue et d’arbitrage possibles pour faire de ces données dites d’intérêt général de véritables outils d’une action publique locale ? Comment faire de ces indicateurs des outils d’aide à la décision ? L’ensemble de ces interrogations soulève, une fois encore, la question des moyens humains et financiers pour garantir la traduction et l’appropriation de ces données.

En quoi les logiques d’inter-opérabilité des données peuvent-elles porter l’impératif de transversalité des politiques publiques ?

L’inter-opérabilité, la fiabilité et la complémentarité des jeux de données sont des composantes éminemment stratégiques. D’une part entre les acteurs qui ont développé des méthodes de récolte de données selon un historique et des compétences qui leur sont propres (avec des niveaux d’avancement disparates selon les régions et les institutions). D’autre part, entre les sujets clés de la préservation de la biodiversité, notamment sur le croisement entre données climatiques et données de biodiversité.

L’inter-opérabilité est donc l’occasion aussi de penser la transversalité de l’action publique en matière de biodiversité. Mais selon quelles modalités, à quelles échelles, quelles formes d’intervention transversales, quels lieux etc. ? La question sous-jacente est celle du corollaire d’action de la démarche d’observatoire et des systèmes d’information

Quels angles morts de l’action publique l’absence d’indicateur permet de révéler ?

La mise en données de la biodiversité permet de mettre en visibilité des enjeux de biodiversité. Comme tout indicateur et jeu de données, le risque est l’invisibilité d’autres thématiques ou sujets. À titre d’exemple, la loi de compensation de 1976 était centrée essentiellement sur les espèces (inventaires) mais pas sur les écosystèmes ni les habitats. Aujourd’hui, les écosystèmes et les habitats intègrent la stratégie de données. Mais d’autres zones d’ombre subsistent, à savoir notamment les trames brunes. La connaissance des sols et des sous-sols reste précaire. Si le projet national MUSE qui a pour objectif d’évaluer la multi-fonctionnalité des sols et de la traduire dans les documents d’urbanisme, peu d’outils existent en la matière (d’autant plus que ce projet reste à échelle macroscopique).

“Le sol est peu connu, la cartographie précise et à grande échelle du sol n’existe pas. Aujourd’hui, les cartographies se font au 250 millième ; cela n’est pas adapté pour des projets très localisés. Il faut développer la méthodologie avec des données plus locales et plus précises pour intégrer la multifonctionnalité des sols dans les documents d’urbanisme.”

Samuel DURANTE, Cerema

Cette stratégie de données peut ainsi devenir le fer de lance de programmes d’actions concrètes, elle est même devenue indispensable.

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L’appel à projets, un modèle structurant de l’action territoriale en matière de biodiversité ?

Suite du carnet d’observations de la Biodiversité Administrative. Le précédent article traitait de l’enjeu de la transversalité de l’action publique de la biodiversité suite à une série d’entretiens avec des acteurs institutionnels. 

Cette deuxième étape de notre carnet de naturalistes de l’action publique porte sur les modalités actuelles de l’action publique. Cette dernière comprend un large ensemble de dispositifs.

Des outils réglementaires ….

Les schémas d’aménagement (SRADDET, SCOT, PLIU(i), le SRCE etc.) sont des documents obligatoires qui couvrent l’ensemble d’un territoire. Ils constituent les outils principaux de l’action publique en matière de protection de l’environnement et de la biodiversité. La prise en compte des enjeux de biodiversité dans ces documents est très variable selon les territoires. Nous y reviendrons dans un autre article. 

Il y a par ailleurs les déclinaisons régionales des différentes stratégies nationales : celle sur les aires protégées (SNAP) et celle sur la biodiversité (SNB). Cette dernière a été récemment publiée énonçant trois axes de travail (protection et restauration de la nature, sensibilisation sur les enjeux de biodiversité, et usage durable des ressources naturelles et des services écosystémiques).

À ces deux premiers dispositifs s’ajoutent l’ensemble de politiques publiques qui ont lieu direct avec la préservation de la biodiversité : les politiques de l’eau, de la police environnementale, du climat (notamment avec les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), etc.

… aux programmes volontaristes.

Enfin, un ensemble de programmes volontaristes et non obligatoires rythment l’action publique territoriale. Parmi eux, les dispositifs Territoires Engagés pour la Nature (TEN) et les Atlas de la biodiversité communale (ABC) qui constituent deux leviers importants pour les politiques publiques de biodiversité à l’échelle territoriale. Ces dispositifs – qui intéressent le présent article – permettent de traiter de nombreux enjeux de biodiversité mais fonctionnent selon une logique d’appel à projets qui structure le calendrier, les pratiques, les compétences et les relations entre acteurs publics (agents, ingénierie nationale et territoriale, élus, etc.). Cette modalité implique une pro-activité des collectivités territoriales et des stratégies de priorisation pour les ingénieries nationales et locales en vue d’accompagner ces collectivités.

Elle permet surtout d’identifier et de caractériser trois points de tension en matière de biodiversité administrative.

La première tension réside dans les moyens alloués à l’action publique en matière de biodiversité. Récurrente, cette tension est pointée du doigt par l’ensemble des acteurs rencontrés. Ce manque de moyens est une réalité pour les acteurs en première ligne sur les sujets de biodiversité tels que les Agences régionales de Biodiversité, des services régionaux et départementaux de l’OFB, de certaines collectivités territoriales, des services déconcentrés de l’Etat, etc. Mais ce constat est partagé par d’autres types de structures qui développent des services et des programmes sur la biodiversité.

“On est moins de 50 au sein de CDC biodiversité. Le travail à réaliser est astronomique. Il y a une réalité très forte : pour démarcher (les collectivités), il faut avoir du temps. Or on n’en a pas suffisamment. Néanmoins, sur des sujets spécifiques telle que la question des paiements pour services environnementaux, on ne s’interdit pas de travailler avec les collectivités territoriales, notamment les régions. ” 

Sophie MÉNARD, responsable de la Mission Economie de la biodiversité au sein de la CDC Biodiversité

Le manque de temps et de moyens humains notamment ingénierie incitent ces opérateurs de l’État à adopter une posture d’accompagnement que légitime notamment la modalité d’appels à projet. 

La deuxième tension concerne les possibilités d’évaluation, de contrôle et de suivi des projets. Cette évaluation reste une étape complexe et souvent chronophage pour les ingénieries et les collectivités. À titre d’exemple, le dispositif TEN intègre cette logique d’évaluation à trois niveaux : 

  • un niveau local pour comprendre si les acteurs mettent en oeuvre leur plan d’action ;
  • un niveau régional pour qualifier l’accompagnement des collectivités territoriales par le collectif régional (incluant la région, la Direction régionale de l’OFB, la DREAL et les AE à minima) ;
  • un niveau national pour évaluer la capacité des institutions à mobiliser les collectivités.

Cet outil d’évaluation est en cours de conception auprès des premiers lauréats du dispositif. S’il est aujourd’hui impossible de disposer d’un outil de mesure précis d’impact sur la biodiversité d’un tel dispositif (en raison notamment du manque de recul nécessaire), l’OFB a opté pour une stratégie de l’auto-évaluation au niveau local. Cet outil se veut léger car cette démarche peut entraîner un travail considérable pour les petites communes qui n’ont pas nécessairement le temps et les compétences requises.

Enfin, une troisième tension émerge à propos de cette logique d’appel à projet : celle de la complémentarité des ingénieries. Les demandes des collectivités territoriales sont nombreuses pour concevoir, porter et animer des projets en matière de biodiversité. Les opérateurs peuvent apporter une ingénierie à deux niveaux : l’accompagnement opérationnel sur le déploiement d’un projet spécifique, ou l’accompagnement à la stratégie. À chacun de ces niveaux, l’enjeu consiste à trouver des complémentarités entre les différents opérateurs. Si cette complémentarité fonctionne bien sur certaines thématiques selon le Cerema (notamment sur la question de la compensation écologique avec la CDC et l’Ademe), elle reste à renforcer. Cette complémentarité se joue en grande partie à l’échelon administratif et opérationnel – notamment sur le terrain avec les relais et animateurs des différentes institutions.

“Sur certains sujets, nous manquons de complémentarité. Il faut surtout qu’on arrive à dialoguer et passer les lourdeurs administratives car les conventions entre deux établissements publics prennent plusieurs mois à être entérinées. On pourrait faire des micro-projets autour d’accompagnements et de montages financiers avec des collectivités territoriales.”

Samuel DURANTE, Cerema

Dès lors, il s’agit de construire un spectre large de modalités d’action de coopérations en renforçant la mise en commun d’appels à projets et de partenariats, mais aussi en optant pour des dispositifs plus souples tels que les contrats de prestation. 

Ces éléments de réflexion ouvrent également d’autres questionnements pour le programme biodiversité administrative :

  • Comment favoriser les synergies entre établissements publics pour mettre en œuvre des dispositifs d’action et d’accompagnement communs ?
  • Comment ces modalités d’action s’inscrivent dans une logique de long terme pour le territoire en anticipant les enjeux de biodiversité ?
  • Comment garantir une évaluation cohérente ou/et commune entre les différentes modalités d’action ?
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La biodiversité, un objet transversal de l’action publique ?

Au cours d’un premier article, nous vous avons présenté le programme Biodiversité Administrative et détaillé ses contours. Ce deuxième chapitre a pour objet de présenter les premiers enseignements d’une série d’entretiens avec certains acteurs de cette biodiversité administrative. Sans viser l’exhaustivité, ces entretiens menés avec des acteurs des agences régionales de la biodiversité (ARB), de l’office français de la biodiversité (OFB), de la fédération de la recherche pour la biodiversité (FRB), de la CDC biodiversité et du Cerema mettent en lumière trois enjeux importants.

En bons naturalistes de la biodiversité administrative, nous partageons notre carnet de questionnements et d’observations. Première partie de ce carnet, l’épineux problème de la transversalité de l’action publique en matière de biodiversité.

L’adoption le 08 août 2016 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages installe durablement la biodiversité comme “un enjeu transversal des politiques publiques de protection des espaces naturels, de la qualité des eaux, des aménagements urbains, industriels, et de transport, d’une agriculture durable, entre autres …” À l’échelle internationale, l’action conjuguée de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) et du Congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) actent également l’institutionnalisation de la biodiversité comme un objet politique global.

Cette construction de la biodiversité comme objet politique s’est réalisée progressivement, non sans flottement ou frottement, et témoigne d’une prise en compte croissante de la crise que subit le monde vivant. D’une position marginale, le concept biodiversité s’est donc constitué en un objet d’attention, d’intentions et d’actions des politiques publiques. Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment les différentes organisations publiques se (re)structurent autour de cet impératif de transversalité ? Comment cet impératif se traduit à l’échelle des territoires ? Pour prolonger ces questionnements, attardons-nous sur un objet de l’action publique en matière de biodiversité : le programme Territoires Engagés pour la Nature (TEN).

TEN, en compagnie des Atlas de la Biodiversité constitue l’un des principaux dispositifs de biodiversité administrative qui fait le lien avec les territoires en France. Il s’agit même selon Mathilde Maisano, chargée de mission « Territoires Engagés pour la Nature » au sein de l’OFB, de “l’unique programme qui se concentre uniquement sur la biodiversité. Il n’y en avait pas avant. Il existe des contrats régionaux de transition écologique qui pour l’heure se révèlent être davantage des contrats régionaux de transition énergétique, n’intégrant pas ou peu les enjeux de biodiversité. Notre but est de faire de la biodiversité un sujet transversal. Si on y arrive pas, on sera passé à côté de quelque chose.”

La transversalité devient ainsi un pré-requis du succès du dispositif, et cette transversalité ne doit pas seulement s’appliquer aux politiques environnementales, mais aussi aux politiques de santé publique, d’éducation, d’achat public, etc. Ce constat est formulé par d’autres acteurs rencontrés comme le soulignent Samuel Durante, chef de groupe de la transition environnementale au Cerema, et Sophie Ménard responsable de la mission économie de la biodiversité à la CDC Biodiversité.

“Il y a un sujet sur lequel on doit s’améliorer, c’est la transversalité. On a beaucoup d’experts très différents sur des sujets pointus. Les collectivités viennent nous chercher, et l’Etat aussi, en raison des compétences très variées. Cette transversalité mérite d’être  cultivée, pour profiter à l’ensemble des acteurs, en intégrant les questions de biodiversité avec les autres thématiques.”

Samuel DURANTE, Cerema

“Je constate un manque de croisements entre la caisse et ses filiales. Un manque de concertation et un manque de communication. On essaie de monter une offre groupe sur différentes de biodiversités mais il est important d’identifier les compétences, les contacts mobilisés sur ce programme.” 

Sophie Ménard, CDC Biodiversité

L’objet biodiversité s’immisce donc dans des champs de l’action publique qui, jusqu’à présent, n’étaient pas considérés comme pertinents. 

Dès lors, comment se traduit cet impératif de transversalité sur les territoires ? À ce stade, deux stratégies semblent prédominer : celle de l’acculturation et celle de l’articulation

La première vise à former, sensibiliser, informer l’ensemble des acteurs publics sur les enjeux de biodiversité en apportant une ingénierie spécifique sur le territoire. Le rôle des animateurs régionaux est prépondérant. “La plus value de TEN, c’est d’avoir un animateur par région qui connaît bien la biodiversité, qui connaît bien le territoire. (M. Maisano). Ces animateurs sont des relais, des rouages essentiels de cette transversalité. Ils permettent sa traduction territoriale en prenant en considération les spécificités et les contraintes locales.

La stratégie de l’articulation (ou du couplage) concerne davantage les dispositifs de l’action publique : “Nous devons être à l’interface d’autres outils ou dispositifs. Pour le moment, il y a un manque de lien avec des dispositifs comme Petites villes de demain, les CRTE, Action cœur de ville etc. Il y a urgence à coupler les dispositifs existants avec TEN car si on ne pense pas la biodiversité en amont, ça devient source de contraintes et de dépenses. (M. Maisano) Cette stratégie s’opère donc en amont, dans la conception même des dispositifs d’accompagnement ou de soutien à l’action locale en matière de biodiversité. L’articulation – récemment instituée – entre le programme TEN et l’Atlas de la biodiversité ainsi que le concours Capitale Française pour la biodiversité préfigure cette stratégie. Pour être candidate à ces deux dispositifs, les communes doivent être engagées dans TEN, ou au moins, y avoir manifesté un intérêt.

La Roche-sur-Yon a été élue capitale de la biodiversité en 2021 © Marque Ville Impériale

La construction de la biodiversité comme objet transversal de politique publique est donc un processus émergent, qui nécessite un travail de co-conception en amont, des relais aux échelles locales et une œuvre d’acculturation. 

Signe ou symptôme de cette transversalité émergente, les Agences Régionales de Biodiversité (ARB) – qui animent à l’échelle régionale le programme TEN – sont en cours de structuration sur le territoire. L’état disparate de cette structuration selon les régions témoigne d’une politique publique territoriale en matière de biodiversité à plusieurs vitesses, dépendantes des contextes territoriaux, des volontés politiques et des ingénieries disponibles en local.

Ce constat ouvre plusieurs questionnements pour le programme biodiversité administrative :

  • Comment outiller le travail des animateurs locaux pour renforcer leur action ?
  • Quels dispositifs de l’action publique doivent être couplés pour structurer la biodiversité comme objet politique transversal ?
  • Quels sont les espaces et les temps communs de l’action publique pour concevoir ces articulations ?
  • Comment doivent se structurer les relais politiques et institutionnels sur le territoire pour mener à bien cette démarche ?
  • Quelles réorganisations implique l’impératif de transversalité ?
  • Quelles compétences et connaissances nouvelles suggère cet impératif de transversalité pour les acteurs de l’action publique ?
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Cartographier les imaginaires de la biodiversité

Pour une cartographie utile des récits fictifs et moins fictifs qui ouvrent des réflexions sur les modes de relation au vivant.

En décembre de l’année 2020, la revue Socialter publiait un hors-série intitulé Renouer avec le vivant à l’occasion duquel le philosophe Baptiste Morizot quittait l’habit du pisteur de loups pour celui de rédacteur en chef. Dans son propos introductif, l’auteur des Diplomates évoque la nécessité d’engager une “bataille culturelle pour restituer son importance au vivant.” Il prétend ainsi remettre l’affect humain au cœur de cette bataille, et appelle à faire de l’émerveillement face au vivant un “vecteur de luttes concrètes” contre le modèle extractiviste et néolibéral du capitalisme.

Aussi, notre rapport à la nature serait au cœur d’une bataille des imaginaires qui opposerait le récit dominant du régime capitaliste qui place l’homme en dehors de cette nature et en droit d’exploiter ce qu’il perçoit comme des ressources naturelles, et des imaginaires alternatifs existants ou en émergence qui exhortent à reprendre conscience de nos attachements et notre dépendance à cette nature. Ces imaginaires dits alternatifs (écoféminisme, biorégionalisme, convivialisme, écologie profonde, éco-socialisme, etc.) – et les acteurs qui les portent – pensent la cohabitation avec le vivant non-humain et la préservation de la nature comme deux impératifs à la survie de l’espèce humaine.

Cet appel – ou plutôt ce cri d’alerte – à renouer avec le vivant est symptomatique de la prétention accordée aux récits de toutes sortes (cartographiques, corporels, littéraires, cinématographiques, plastiques, etc.) à transformer ou reconfigurer les sociétés humaines. Dans le cadre du programme Biodiversité Administrative, cette prétention a motivé trois questionnements :

  • Si les récits ont une telle influence, en quoi ces récits – notamment alternatifs – peuvent-ils contribuer à imaginer et concevoir d’autres formes de l’action publique pour le vivant ?
  • Que nous disent ou nous racontent ces récits sur les relations entre administrations publiques et mondes vivants ?
  • Comment traduire et montrer ces récits pour leur donner un maximum de chances d’atteindre la pensée, la parole et les actes de celles et ceux qui administrent et qui gouvernent, des élus aux agents publics ?

À première vue naïfs, ces questionnements nous ont servi de boussoles pour mener une exploration nécessairement partielle des récits qui traitent de biodiversité, d’administration et de biodiversité administrative. Le territoire des imaginaires étant si vaste, nous avons été contraints de ne pas faire de choix. Nous avons arpenté tous les chemins possibles, sans distinction, en glanant sur le terrain du design fiction aussi bien que celui du théâtre ou du cinéma. Aussi cette cartographie est résolument hétéroclite, incomplète et perfectible. Au cœur de ce joyeux brouillard, nous avons tenté de dresser trois phares pour orienter au mieux ces explorations. Ces trois catégories peuplées chacune de sous-catégories proposent une première classification :

Relations des sociétés humaines au vivant
Compétitive, extractiviste, symbiotique, protectrice… Les types de relation que les sociétés humaines entretiennent avec le monde vivant sont d’une variété infinie. Ne dépendant pas exclusivement des ontologies, ces relations s’expriment dans des registres très distincts selon que l’on considère l’entrée éthique, économique, politique, biologique, etc. 

Nature et administration étatique
Faut-il une dictature écologiste ? Quelle fiscalité environnementale possible ? Qu’est-ce qu’une monnaie vivante ? Comment représenter les intérêts de la nature dans les instances politiques humaines ? Quels droits pour le vivant ? Quelles institutions de la protection de l’environnement ? etc. Ce deuxième territoire cartographique s’intéresse aux formes de gouvernance de la nature et de la biodiversité.

Territoires, paysages et écosystèmes
Cette troisième cartographie s’intéresse aux différents rapports territoriaux – ou spatiaux – à la biodiversité. Elle explore les manières de raconter les territoires – urbains, ruraux, extra-terrestres, marins et sous-marins, etc. – au prisme de la biodiversité. Cette entrée résolument paysagère permet d’évoquer les formes d’habitabilité des milieux, les mutations paysagères, la pertinence des frontières, les nouvelles circulations des espèces au cœur de ces paysages.

Quels objectifs servent ces déambulations cartographiques ?

En écho aux deux questionnements cités en amont, ce travail sur les imaginaires soutient trois objectifs dans le cadre du programme Biodiversité Administrative. 

Faire connaître. Les récits référencés dans les cartographies sont autant de visions sur la pluralité des relations possibles avec le monde vivant. Ces alternatives circulent dans le monde social à travers des romans, des nouvelles, des œuvres plastiques, des représentations ou des performances théâtrales. Cette cartographie donne à voir aux acteurs des politiques publiques ces fragments narratifs.

Faire penser. Ces récits sont également des exercices de pensée. Ce sont des objets à réaction que nous soumettons aux agents, aux élus, aux acteurs associatifs pour construire un cadre de réflexion commun soit dans une pure logique spéculative, soit pour mettre en lumière les angles morts de la pensée de l’action publique. Parfois radicales, les propositions fictives engagent les acteurs à se positionner, préciser leurs points de vue, questionner leurs propres pratiques.

Concevoir. Enfin, ces récits offrent des hypothèses de travail pour imaginer et concevoir des formes de l’action publique pour demain. Les institutions et les modes d’organisation biocentrés du roman Ecotopia, le Ministère pour les générations futures de Kim Stanley Robinson, le Parlement de Loire proposé par le collectif POLAU, le monde sans humain de Dougal Dixon ou encore l’argent animal de Michael Cisco sont autant d’inspirations potentielles pour élaborer les politiques de biodiversité de demain.

Pourquoi ouvrir cette cartographie ?

Ces thématiques sont des propositions cartographiques que nous soumettons à contribution sur une plateforme participative Miro.

Pour naviguer dans la cartographie, rendez-vous au bout de lien :
https://miro.com/app/board/uXjVOBzsN3Y=/?share_link_id=421661464798

Les références citées dans chacune de ces cartographies peuvent être discutées et complétées. Tout comme les sous-catégories qui constituent davantage des pistes de réflexion ou de classification en rien rigides ni définitives. Sans prétendre à l’impossible exhaustivité, ces terrains cartographiques se veulent avant tout des espaces collectifs de réflexion et de discussion. Ce sont des outils à saisir dans le cadre du programme Biodiversité Administrative ou au-delà à titre personnel ou professionnel. À votre guise.

Ainsi, nous invitons chaque lecteur et lectrice à découvrir ces réflexions cartographiques et à potentiellement les compléter de vos propres références, inspirations ou questionnements. Bonne exploration.