Suite du carnet d’observations de la Biodiversité Administrative. Le précédent article traitait de l’enjeu de la transversalité de l’action publique de la biodiversité suite à une série d’entretiens avec des acteurs institutionnels.
Cette deuxième étape de notre carnet de naturalistes de l’action publique porte sur les modalités actuelles de l’action publique. Cette dernière comprend un large ensemble de dispositifs.
Des outils réglementaires ….
Les schémas d’aménagement (SRADDET, SCOT, PLIU(i), le SRCE etc.) sont des documents obligatoires qui couvrent l’ensemble d’un territoire. Ils constituent les outils principaux de l’action publique en matière de protection de l’environnement et de la biodiversité. La prise en compte des enjeux de biodiversité dans ces documents est très variable selon les territoires. Nous y reviendrons dans un autre article.
Il y a par ailleurs les déclinaisons régionales des différentes stratégies nationales : celle sur les aires protégées (SNAP) et celle sur la biodiversité (SNB). Cette dernière a été récemment publiée énonçant trois axes de travail (protection et restauration de la nature, sensibilisation sur les enjeux de biodiversité, et usage durable des ressources naturelles et des services écosystémiques).
À ces deux premiers dispositifs s’ajoutent l’ensemble de politiques publiques qui ont lieu direct avec la préservation de la biodiversité : les politiques de l’eau, de la police environnementale, du climat (notamment avec les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), etc.
… aux programmes volontaristes.
Enfin, un ensemble de programmes volontaristes et non obligatoires rythment l’action publique territoriale. Parmi eux, les dispositifs Territoires Engagés pour la Nature (TEN) et les Atlas de la biodiversité communale (ABC) qui constituent deux leviers importants pour les politiques publiques de biodiversité à l’échelle territoriale. Ces dispositifs – qui intéressent le présent article – permettent de traiter de nombreux enjeux de biodiversité mais fonctionnent selon une logique d’appel à projets qui structure le calendrier, les pratiques, les compétences et les relations entre acteurs publics (agents, ingénierie nationale et territoriale, élus, etc.). Cette modalité implique une pro-activité des collectivités territoriales et des stratégies de priorisation pour les ingénieries nationales et locales en vue d’accompagner ces collectivités.
Elle permet surtout d’identifier et de caractériser trois points de tension en matière de biodiversité administrative.
La première tension réside dans les moyens alloués à l’action publique en matière de biodiversité. Récurrente, cette tension est pointée du doigt par l’ensemble des acteurs rencontrés. Ce manque de moyens est une réalité pour les acteurs en première ligne sur les sujets de biodiversité tels que les Agences régionales de Biodiversité, des services régionaux et départementaux de l’OFB, de certaines collectivités territoriales, des services déconcentrés de l’Etat, etc. Mais ce constat est partagé par d’autres types de structures qui développent des services et des programmes sur la biodiversité.
“On est moins de 50 au sein de CDC biodiversité. Le travail à réaliser est astronomique. Il y a une réalité très forte : pour démarcher (les collectivités), il faut avoir du temps. Or on n’en a pas suffisamment. Néanmoins, sur des sujets spécifiques telle que la question des paiements pour services environnementaux, on ne s’interdit pas de travailler avec les collectivités territoriales, notamment les régions. ”
Sophie MÉNARD, responsable de la Mission Economie de la biodiversité au sein de la CDC Biodiversité
Le manque de temps et de moyens humains notamment ingénierie incitent ces opérateurs de l’État à adopter une posture d’accompagnement que légitime notamment la modalité d’appels à projet.
La deuxième tension concerne les possibilités d’évaluation, de contrôle et de suivi des projets. Cette évaluation reste une étape complexe et souvent chronophage pour les ingénieries et les collectivités. À titre d’exemple, le dispositif TEN intègre cette logique d’évaluation à trois niveaux :
- un niveau local pour comprendre si les acteurs mettent en oeuvre leur plan d’action ;
- un niveau régional pour qualifier l’accompagnement des collectivités territoriales par le collectif régional (incluant la région, la Direction régionale de l’OFB, la DREAL et les AE à minima) ;
- un niveau national pour évaluer la capacité des institutions à mobiliser les collectivités.
Cet outil d’évaluation est en cours de conception auprès des premiers lauréats du dispositif. S’il est aujourd’hui impossible de disposer d’un outil de mesure précis d’impact sur la biodiversité d’un tel dispositif (en raison notamment du manque de recul nécessaire), l’OFB a opté pour une stratégie de l’auto-évaluation au niveau local. Cet outil se veut léger car cette démarche peut entraîner un travail considérable pour les petites communes qui n’ont pas nécessairement le temps et les compétences requises.
Enfin, une troisième tension émerge à propos de cette logique d’appel à projet : celle de la complémentarité des ingénieries. Les demandes des collectivités territoriales sont nombreuses pour concevoir, porter et animer des projets en matière de biodiversité. Les opérateurs peuvent apporter une ingénierie à deux niveaux : l’accompagnement opérationnel sur le déploiement d’un projet spécifique, ou l’accompagnement à la stratégie. À chacun de ces niveaux, l’enjeu consiste à trouver des complémentarités entre les différents opérateurs. Si cette complémentarité fonctionne bien sur certaines thématiques selon le Cerema (notamment sur la question de la compensation écologique avec la CDC et l’Ademe), elle reste à renforcer. Cette complémentarité se joue en grande partie à l’échelon administratif et opérationnel – notamment sur le terrain avec les relais et animateurs des différentes institutions.
“Sur certains sujets, nous manquons de complémentarité. Il faut surtout qu’on arrive à dialoguer et passer les lourdeurs administratives car les conventions entre deux établissements publics prennent plusieurs mois à être entérinées. On pourrait faire des micro-projets autour d’accompagnements et de montages financiers avec des collectivités territoriales.”
Samuel DURANTE, Cerema
Dès lors, il s’agit de construire un spectre large de modalités d’action de coopérations en renforçant la mise en commun d’appels à projets et de partenariats, mais aussi en optant pour des dispositifs plus souples tels que les contrats de prestation.
Ces éléments de réflexion ouvrent également d’autres questionnements pour le programme biodiversité administrative :
- Comment favoriser les synergies entre établissements publics pour mettre en œuvre des dispositifs d’action et d’accompagnement communs ?
- Comment ces modalités d’action s’inscrivent dans une logique de long terme pour le territoire en anticipant les enjeux de biodiversité ?
- Comment garantir une évaluation cohérente ou/et commune entre les différentes modalités d’action ?